La liberté d'expression des peuples lorsqu'elle concerne des adversaires ou ennemis géopolitiques, toutes les forces médiatiques et politiques de l'Occident sont là pour les louer (Printemps arabe, etc.). Mais lorsque cette même liberté d'expression met en danger notre stabilité politique, ou la mainmise idéologique du pouvoir en place, il se trouve de nombreuses raisons pour appeler au contrôle (censure ?) de cette liberté d'expression trouvée sur les RS.
La question est vertigineuse, mais on peut aussi s'interroger légitimement sur les géants du numérique derrière leurs applications et poser la question de leur propre agenda idéologique et politique. Leur puissance financière, parfois plus grande que celle de nos États, ne peut-elle pas alimenter le désir d'imposer leur vision du monde, ce d'autant plus que la plupart des dirigeants de ces entreprises sont acquis à la cause transhumaniste.
Article revu et corrigé (Re-publié le 13 septembre)
Le numérique, et plus particulièrement les réseaux sociaux (RS), sont disruptifs et leurs impacts sociétaux ne cessent d’interroger. Dans un premier temps, les RS ont été vus comme des vecteurs de liberté, dont les effets ont été encensés, notamment en 2011, lors du fameux Printemps arabe (Le Monde 14 – Oct 2017). Ils ont permis à la population de ces pays dictatoriaux en mal de liberté, d’organiser plus facilement manifestations, et autres actions de protestation. Les pays occidentaux ont trouvé cela extraordinaire et mis sur un piédestal cette utilisation des RS. De même, en 2019, la révolte des étudiants, lycéens et salariés de Hong-Kong a soulevé une similaire bienveillance (Ouest-France 24/07/2021) et ce, bien que les RS aient révélé aussi leur part d’ombre. En effet il est apparu rapidement qu’ils avaient été utilisés par les mouvements islamistes pour répandre leurs messages de haine et recruter les futurs acteurs de leurs attentats.
Puis, il y a eu l’épisode COVID, et la plupart des pays occidentaux ont pris des mesures qui, de fait, ont réduit les libertés de leurs citoyens. Ceux qui ont douté des messages habillés d’un camouflage scientifique, ou qui remettaient en cause les décisions restreignant les libertés de mouvement (QR Code, passes en tout genre), étant gênants pour la maîtrise du discours et de l’action de nos dirigeants (fondés ou non, selon les opinions libres de chacun), il fallait essayer de les contenir... ce qui était très difficile avec l’existence de ces mêmes RS qui arrangeaient tant lorsqu’ils étaient utilisés à l’encontre de régimes dictatoriaux… Dans les faits, pendant cette période, ces réseaux étaient dérangeants, car mettant en évidence les contradictions ou incohérences de nos instances dirigeantes, dépassées par une situation dont elles étaient en partie responsables.
Mais d’autres troubles secouent le monde occidental, notamment sur des sujets polémiques comme l’immigration de masse et les liens souvent tirés entre cette dernière et la délinquance, ou toute remise en cause de la doxa bien-pensante sur nombre de sujets sociétaux. Or les RS permettent parfois l’expression de voix discordantes qui, lorsqu’elles deviennent trop audibles ou dérangeantes, sont taxées de « complotisme ». On peut dire que le monde occidental est aussi victime des RS, qui permettent a priori une plus grande liberté d’expression et constituent une caisse de résonance à des idées qui dérangent l’ordre établi.Quid de la liberté d’expression ?Le contrôle de la liberté d’expression, celle-ci étant louable en soi, ne peut-être une valeur absolue sans connexion avec le monde réel. Et cela me paraît justifié aussi dans la façon de gérer les RS. Mais quelle doit être la forme de ce contrôle ? Qui l’exerce ? Quelle responsabilité ? Et sur quelles lignes rouges comprises de tous ? Et c’est là que les choses deviennent intéressantes et que quelques événements actuels posent interrogation…Tout d’abord, la plus récente et celle qui soulève beaucoup de questions, l’arrestation par la justice française de Pavel Dourov qui est une première mondiale (encore Le Monde 01/09). Cet événement interroge, car il remet en cause au premier abord le principe du secret des correspondances (Chroniques numérique – David Fayon). Cependant Telegram n’est pas seulement une messagerie cryptée, mais c'est aussi une plateforme qui permet de faire du commerce et possède bien d’autres fonctionnalités. Le monde virtuel peut-il donc s’affranchir des règles du monde physique et des lois qui le régissent ? Et en cas d’infraction, qui est responsable ? Est-ce l’outil utilisé ou celui qui commet l’infraction. Devrons-nous condamner les fabricants de couteaux ? Pour être honnête, il n’est pas choquant pour autant que, sur une décision de justice dûment justifiée et sur des faits de criminalités de droits communs ou de terrorisme, la plateforme obéisse à une injonction judiciaire. Cette affaire particulière sera passionnante à suivre pour comprendre les motivations derrière cette arrestation et les torts, réels ou supposés, de la plateforme et de ses dirigeants, les intérêts personnels de ceux qui pourraient être derrière cette arrestation...L’autre affaire qui ne semble pas avoir créé plus d’émoi que cela, concerne les révélations du fondateur de Facebook, Marc Zuckerberg (7su7.be – 27 août 24). Il y reconnaît avoir cédé à des pressions du gouvernement américain concernant la COVID, et procédé à la censure de certains contenus considérés comme non appropriés (RTS Suisse), mais aussi avoir contribué à la mise en place d’une Fake News sur instigation du FBI pour ne pas « influencer » l’élection de novembre 2020, en relayant des éléments compromettants de l’affaire Hunter Biden révélée par le New York post… Révélations pour l’épisode COVID qui font écho à celles d’Elon Musk, personnage très controversé, lors de sa reprise de Twitter, désormais X, et qui mettent à mal le mode de fonctionnement de nos démocraties, à une époque où la transparence est une valeur clé. La plateforme Meta France s’illustre elle aussi par une censure de comptes Instagram très sélective, puisqu’elle ne touche que des comptes de personnalités de droite (Le Figaro 26 août 2024).Encore un épisode de cet été qui pose des interrogations, c’est la gestion par le gouvernement travailliste des mouvements de protestation contre l’immigration en Grande-Bretagne qui ont été présentés en France comme des actions violentes (et condamnables) de la part de groupuscules d’extrême-droite. Ce qui interroge, c’est le fait de libérer des places de prison de criminels de droit commun, - et on peut supposer que là-bas comme chez nous ceux qui écopent de prison ferme sont tout sauf de « petits anges » - pour pouvoir incarcérer des gens qui auraient twitté ou retwitté des messages dits de « haine ». Ces dernières semaines plusieurs événements mettent en lumière le rôle trouble des RS. Après avoir été le vecteur idéalisé de la démocratie, notamment lors des « printemps arabes », puisqu’ils avaient permis à des populations en mal de liberté de combattre des régimes souvent totalitaires et de faire entendre leurs voix, tout du moins pendant un temps ; on peut finir légitimement finir par se poser la question d’une dérive antilibérale de nos sociétés occidentales.La dernière nouvelle en date qui interroge est la décision d’un juge de la cour suprême brésilienne qui a souhaité faire censurer des comptes d’influenceurs de la droite conservatrice (ultradroite ?) sur X (ex-Twitter). Face à cela la réaction d’Elon Musk, un libertaire pur jus, a été de fermer ses bureaux d’X pour protéger ses employés menacés par le juge, ce dernier ayant demandé illégalement le transfert de données privées (Le monde 17 août 2024) Le conflit entre X et ce juge s’est durci, aboutissant à la suspension immédiate de X sur l’ensemble du territoire brésilien (Le Monde). C’est un nouvel exemple des tensions qui secouent les pays, où la liberté d’expression finit par être remise en cause, en raison de la radicalisation des opinions, et des risques que cela peut représenter pour le pouvoir en place...Que penser, quelles conclusions tirer ? C’est un exercice difficile. Cependant, une règle de bon sens serait que ce qui est condamnable et condamné dans le monde physique le soit aussi dans le monde numérique, ce qui veut dire que tout individu se livrant à des actes délictueux puisse être sanctionné et que la plateforme doive ainsi fournir les moyens de l’identifier aux autorités concernées. Sur la partie discours de haine, il y a plusieurs aspects qui rendent l’exercice difficile : chaque pays a une définition qui est différente et cela peut poser un problème, en fonction aussi du type de pouvoir (totalitaire ou non). Sur les écrits, il faut ensuite différencier ce qui est de l’ordre du public et, pour la France, je pense que, dans l’espace numérique, comme dans l’espace public physique, tout discours tombant sous le coup de la loi doit être poursuivi.En revanche, toute communication privée, boucle restreinte de messagerie ou groupe restreint sur un RS (non public), ne devrait pas être poursuivi. En effet, si on commence à contrôler la vie privée de nos concitoyens, c’est que, factuellement, nous ne sommes plus en démocratie, mais que nous nous enfonçons dans un totalitarisme qui, même s’il peut être considéré comme non violent (physiquement) (mais jusque quand), reste un régime totalitaire... Pour certains, cette affirmation peut paraître excessive, mais c’est l’une des caractéristiques des régimes totalitaires, notamment communistes (Stalinisme ou Maoïsme), que d’abolir la notion de vie privée.
Il semble donc qu’après une liberté au-dessus de tout, comme chérie par les libertaires-libertariens, nous devions revenir à une liberté plus contrôlée, ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes plus en démocratie. Il faut se rappeler qu’il existait jusque dans les années 1980 une censure d’État... Cependant l’équilibre étant difficile à trouver il ne faudrait pas que le balancier fasse un retour en arrière trop violent, sinon un monde orwellien surviendrait, et ces outils technologiques que sont les RS, avec les IA génératives de plus en plus puissantes, pourraient nous faire perdre pied avec la réalité. Et ce monde orwellien pourrait ne pas être qu’exclusivement du fait d’États-nations, mais celui d’entreprises en position de monopole technologique. Face à ce mouvement rapide en marche, il est important que nous développions nos propres outils et plateformes, car la façon de les concevoir sera porteuse de notre façon de concevoir des rapports humains éthiques et notre rapport à notre culture. Si nous ne voulons pas sombrer dans un gloubi-boulga informe, imposé par un empire colonial numérique, mais qui a des conséquences dans le monde physique, l’un des moyens de lutter contre cette sombre possibilité d’avenir est de retrouver notre souveraineté technologique et numérique.
Emmanuel MAWET